Death Stranding
13 novembre 2019Ce test vous est proposé par Alexandre SEREL (auteur de L’histoire de « Tomb Raider: 1996-2008 : l’odyssée de Lara Croft » et « L’histoire de God of war » au édition Pix’n Love. Vous pouvez retrouver ses œuvres sur Amazon ou son actuailté sur Twitter.
- Titre : Death Stranding
- Sortie : 2019
- Editeur : Sony Interactive Entertainment
- Développeur : Kojima Productions
- Plateforme : Playstation 4
- Genre : Action
- PEGI : 18+
- Sauvegarde : Oui
- 1 joueur uniquement
- Langue : Textes et voix en Français
Death Stranding, A Hideo Kojima genre.
Je viens de finir Death Stranding et je suis, comment dire, assez décontenancé. À la question, « C’est un bon ou un mauvais jeu ? », je répondrais que le jeu vidéo a pris assez de maturité pour sortir de ce genre de critique. Un bon jeu peut ne pas plaire à tout le monde. Pour ce qu’il dit, ce qu’il fait, ce qu’il raconte. Prenez-moi par exemple, je reconnais ouvertement que The Witcher III est un grand jeu, et pourtant, je ne l’aime pas. Les propositions se multiplient à l’heure actuelle, et il va être bien plus question à l’avenir de choisir un jeu pour ses qualités certes, mais aussi dans un univers, un genre qui est susceptible de nous plaire. Donc, on va y aller franchement, oui Death Stranding est un grand jeu malgré ses défauts. Est-ce que ça va vous plaire ? C’est vous que ça regarde, moi je ne suis là que pour vous aiguiller.
Au début, il y a eu une explosion
Évitons de tout dévoiler sur l’histoire. Ce que vous avez à savoir est qu’il y a eu un cataclysme du nom de Death Stranding et qu’il a pratiquement rayé l’humanité de la carte. Subsistent des poches d’humains, qui vivent dans des bunkers sous terre et tentent de survivre. C’est là qu’intervient le héros, Sam Porter Bridges, qui comme son nom l’indique, porte du matériel à ses différentes poches pour qu’elles puissent se développer. Mais, soyons fous, s’il était possible de relier par une sorte d’internet du futur toutes ses poches pour qu’elles puissent communiquer entre elles et s’entraider ?
Si ce n’était que ça, ça serait un peu trop facile pour rebâtir une civilisation. Depuis le Death Stranding, des fantômes, appelés ici des Echoués, apparaissent partout et tentent de vous emmener vers… Quelque part. En résumé, c’est la merde, cette fois totale et sans retour. Si toute l’histoire du nouveau jeu de Kojima tourne autour de l’espoir, de rebâtir une nation, c’est bien le désespoir complet qui vous entoure. Aucune nostalgie du passé, aucun c’était mieux avant, il faudra faire avec le présent, le futur, et ce n’est pas beau à voir. Vous allez observer le chaos, le sentir, l’étudier, sans vraiment avoir de solutions pour corriger la situation. Vous n’allez d’ailleurs rien arranger, mais plutôt composer avec. L’histoire et le monde de Death Stranding sont intimement liés par une radicalité extrême qui ne fera aucun compromis. Et en ça, le jeu est déjà unique.
Penser à acheter des Dolipranes
Connaissant Hideo Kojima pour ses scénarios, Death Stranding vaut-il le déplacement ? Passé les premières heures qui n’ont pas vraiment le choix de vous assommer pour installer l’univers relativement complexe du jeu, globalement oui. Personnages hauts en couleur, retournements de situations à la volée, aidée par une mise en scène de haute voltige, c’est cohérent, ça marche, jusqu’à la dernière seconde. Attention toutefois à bien suivre et ne surtout pas faire autre chose pendant les cinématiques. Death Stranding, c’est bien, mais c’est complexe. Un peu trop parfois, ou les personnages partent dans des explications, qui si ça tient debout, ne vont pas hésiter à balancer des théories à plusieurs embranchements niveau bac+12. Ils se comprennent entre eux, nous un peu moins. À prévoir des vagues de « Je n’ai rien compris » sur Internet dans les semaines à suivre. Et on en voudra à personne.
Death Stranding, à fond la forme
Vous avez entendu que Death Stranding est une simulation de livreur, et comment dire… Ce n’est pas vraiment ce qui le compose. Le cœur de son gameplay est ailleurs et se nomme le trekking. Étonnant d’ailleurs comment la communication autour du titre a tourné en sa défaveur en le faisant passer pour un simulateur de livreur UPS. Mais pour résumer, si vous pensez que Death Stranding est un jeu de livraisons en monde ouvert, alors vous vous trompez.
Le trekking une véritable activité sportive qui consiste à traverser à pied des éléments assez difficiles. Montagnes, rocheuses, zones sauvages, etc… Et voici 70 % du gameplay de Death Stranding résumés en quelques mots. Vous allez devoir affronter l’environnement qui vous entoure pour relier un point A à un point B. Croyez-moi sur parole, c’est l’enfer. Lutter contre les éléments, créer des abris, étudier la topographie des lieux, marquer des points d’intérêts sur votre map pour savoir si vous allez passer par ici ou par-là, bref, à bien observer le terrain pour vous faciliter la vie. Sans oublier les intempéries, pluies, brouillards, tempêtes de neige, le monde Death Stranding n’est pas là pour vous faire des cadeaux et vous le rappelle constamment.
Bien sûr, vous avez déjà joué à des jeux en monde ouvert et regardé une carte pour vous orienter, mais jamais dans des extrémités pareilles. Ici, chaque pas doit avoir un but, chaque mètre gagné est une victoire. Une telle prise de risque pose forcément des questions : une fois manette en main, comment ça se passe ? Plusieurs points, le héros Sam se manie assez naturellement, a sa propre logique, sa propre inertie. Sa principale activité pendant le trekking étant le transport de colis, à vous de bien équilibrer l’ensemble sur sa combinaison pour ne pas vriller sur le moindre rocher. Difficile de prendre le jeu en défaut sur ce point, si vous tombez, c’est de votre faute. Mais baser entièrement le personnage sur le trekking va apporter un problème important dont nous reparlerons plus tard.
L’enthousiasme redescend en flèche une fois grimpé sur un véhicule. Moto ou camion au choix, que le calvaire commence. L’on ne peut pas s’empêcher de penser que le monde de Death Stranding n’a pas été prévu, réfléchit pour utiliser des véhicules. C’est un monde qui doit se traverser à pied et pas autrement. La physique, la vitesse, ça fonctionne mal, au mieux ça peut faire gagner du temps sur de petits trajets dégagés, mais pas plus. Comment d’un côté à pied le jeu se veut ultra réaliste, quand de l’autre en véhicule, rien ne fonctionne et brise tous les efforts d’immersion menés sur le trekking ? Étrange.
Colissimo fortissimo
Nous y voilà, les livraisons de colis. Je dois bien avouer avoir tout entendu à ce sujet. Effectivement, l’on peut avoir des aprioris sur ce point en particulier, et c’est tout à fait logique. En réalité, rien de dramatique.
A part les cinq premières heures. Déjà de devoir encaisser l’univers du jeu, vous allez vite vous retrouver à livrer des colis à différentes personnes qui n’ont pas grand intérêt. Ajouté à cela un menu de gestion assez indigeste, aussi fun qu’une page Excel… Et puis il se passe un « truc ». Les journalistes disent 10 h, moi c’est arrivé au bout de 4 h 30. Et enfin tout commence à prendre du sens.
Vous allez toujours devoir livrer des colis certes, mais qui ont un intérêt scénaristique et peuvent avoir une influence sur le gameplay. Voici un exemple hors contexte afin d’éviter les spoilers, mais pour appuyer mon propos. À un moment, vous devez relier une station météo et lui livrer du matériel. Banco, une fois fait, vous recevez une maj de votre GPS pour avoir les prévisions météo, donc éviter les pluies d’Échoués et différentes intempéries. Un bonus de plus pour mieux étudier votre trajet et affronter, j’insiste, l’enfer extérieur. Donc vous allez mieux comprendre ce que vous allez livrer, savoir ce que cela va vous apporter, pour à chaque fois, avoir un petit plus, un bonus de matériel pour Sam. À noter qu’il est tout à fait possible de faire entièrement le jeu en réalisant que les livraisons essentielles.
Je dirais que, excepté quelques livraisons, celle du départ et quelques-unes plus tard, globalement, ça marche très bien. Plus étonnant encore, certaines sont des réussites totales. Je sais, c’est étrange, mais c’est Death Stranding. Les notions de normalités sont assez relatives ici. Pour finir sur ce point, en parlant avec d’autres personnes qui ont pu jouer longuement au jeu, aucun n’a dit que les livraisons sont une plaie, donc rassurez-vous, ça passe très bien malgré un temps d’adaptation de plusieurs heures.
Quand plus rien ne va
Malheureusement, nous n’allons pas nous attarder sur tous les aspects. Death Stranding est riche en contenu, déborde à ras bord d’idées toutes plus folles les unes que les autres et porte la signature d’un Hideo Kojima en forme. Les musiques sont brillantes, le gameplay asynchrone, d’être connecté à d’autres joueurs pour s’entraider, fonctionne parfaitement. Rien que pour ce point, il faudrait noircir des pages entières pour expliquer tout ce qu’il est possible de faire. C’est nouveau, c’est avant-gardiste, c’est cohérent avec le propos du jeu de devoir tous se connecter les uns aux autres et laisse entrevoir un possible futur de jeu en ligne finalement peu envahissant. Du grand art.
Mais, évidemment, Death Stranding a aussi des défauts assez étranges, surtout lorsque l’on sait que c’est un jeu signé Hideo Kojima. Si nous avons parlé du trekking et de la livraison, existe aussi de grosses scènes d’actions. Oui, oui avec des flingues, grenades et tout le tintouin. Et ce n’est pas bon. Rien de dramatique non plus, mais pas du niveau de certains tps d’aujourd’hui. Pour une simple et bonne raison, Sam Porter Bridges.
Le héros du jeu a sa propre maniabilité centrée sur le trekking. Pendant les scènes d’action, il bouge toujours avec la même inertie. Et ce qui marche en randonnée ne fonctionne plus du tout une fois en combat. Cela en devient même pénible de se mouvoir alors que les balles pleuvent. Par exemple, il est possible de se créer une sorte de tour de Pise de colis sur le dos. Alors en exploration ça fonctionne, mais imaginez un peu la scène en combat. Impossible de voir ce qui arrive en face, la visibilité étant cachée par les colis. On se retrouve alors à jongler avec la caméra, parfois dans des endroits exigus, tout en essayant de se cacher. Hideo Kojima étant le créateur de Metal Gear, évidemment, il y a de l’infiltration. Pareil, ça ne vole pas forcément haut sur ce point à cause d’une intelligence artificielle d’un autre âge. Subsiste un dernier gros problème, les boss.
Rendez-moi Psycho Mantis
Point assez difficile à évoquer, puisque grosse source de spoilers, mais les boss pourraient se définir en deux catégories : de gros monstres Échoués et les boss humains. Les premiers, certes impressionnants, ne sont pas très réactifs. Avec quelques chargeurs et grenades bien placées, c’est réglé. Oui, aussi simplement que ça. D’une facilité déconcertante, commence alors un sentiment de ce que l’on pourrait appeler une « schizophrénie du gameplay ». D’un côté l’univers du jeu et le trekking où les curseurs sont placés en mode hardcore, et l’autre, des boss dont on se débarrasse d’une simple pichenette dans le nez. Incompréhensible.
Puis reste les boss humains. Avant toute chose, sachez que leurs introductions sont hallucinantes, c’est du jamais-vu jusqu’à maintenant. Je pense que sans sourciller, nous pouvons dire que la PlayStation 4 est poussée dans ses derniers retranchements tellement ce qui passe à l’écran, en temps réel, est complètement dingue. Et vous jouez ces scènes, c’est peut-être ça le plus fou. Mais Hideo Kojima, forcément, en a dévoilé quelques-unes dans différents trailers. Trop difficile de garder la surprise apparemment alors qu’il aurait très bien pu s’en passer…Mais où est le problème ? Les combats contre les dits boss pardi. Les mouvements ennemis sont tellement scriptés que là aussi en trois coups de fusil à pompe, c’est réglé. En quelques minutes, l’on passe de la grandiloquence d’une mise en scène audacieuse à un combat complètement aseptisé. La pilule va avoir du mal à passer.
Mais à part ses errements au niveau des combats, assez rares faut-il le rappeler, j’ai beau chercher, j’ai du mal à trouver des défauts rédhibitoires à Death Stranding qui empêcherait de le découvrir dans de bonnes conditions et l’apprécier à sa juste valeur.
A vous de reconnecter le monde
J’en viens à me dire que le plus grand défaut de Death Stranding est peut-être sa plus grande qualité : sa radicalité. Il est certain qu’il va diviser. De par son scénario, son gameplay, son univers, la moindre molécule qui le compose va réjouir ou faire rager. Puis il y a ceux qui n’aime pas le style Kojima, qui n’ont jamais aimé ses jeux, au pire qui ne peuvent pas l’encadrer, et ce n’est pas Death Stranding qui va arranger les choses, au contraire, ça ne fera qu’amplifier le phénomène.
Death Stranding ne fait jamais de compromis. Ne devis jamais de sa trajectoire, n’a pratiquement aucun tutoriel. « Voici le monde de Death Stranding, démerde toi pour le sauver » aurait pu être l’introduction du jeu. Il est très clairement à déconseiller aux joueurs et joueuses débutantes. Son monde est aride, hostile, vous envoie dans un précipice sans lueur d’espoir. Mais est aussi déconseillé à ceux qui aiment être dans leurs petits chaussons, ne pas être bousculés, dérangés, qui ont beaucoup trop peur de remettre leurs acquis vidéoludiques en cause. Puis il y a ceux, qui avec un bâton et corde survivraient une éternité et ceux à qui on doit baliser le chemin à l’excès pour y arriver. A vous de deviner à qui Death Stranding est destiné.
Pour finir…
Death Stranding est une nouvelle proposition de jeu. Imparfaite mais enivrante, dure mais enrichissante, radicale mais étonnante. Comme tout ce qui est nouveau, ça essuie des plâtres, la peinture est encore un peu fraiche, mais ça tient debout, bien mieux que l’on ne pouvait l’espérer à la base.
Bienvenu à Alexandre qui écrira probablement d’autres articles sur le site de la PGR.
Je partage complémentent ton avis sur le jeu, très bon test.